Un vent libertin souffle sur le Louvre

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De Lens à Paris, le musée national met en avant la licence de la création artistique au XVIIIe siècle.

La saison 2016 du Louvre, consacrée au XVIIIe siècle, a été lancée au Louvre-Lens (Pas-de-Calais). L’occasion de voir ou de revoir « Le Pèlerinage à l’île de Cythère », d’Antoine Watteau (1684-1721), qui clôt l’austère fin de règne du Roi-Soleil. Peint en 1717, il illustre le souffle libertin et libertaire qui va accompagner le siècle.

Watteau fait vibrer la lumière des roses poudre, blancs nacrés, ors, dont il costume les couples en partance pour l’île d’Aphrodite. Regards, attitudes, hésitation, abandon, le jeu de la séduction tient dans cette scène rondement brossée. Cette fête galante officialise un genre dont l’Europe s’entiche en peinture, sculpture, porcelaine, ébénisterie, orfèvrerie, musique, opéra et théâtre, comme l’illustrent les extraits filmés projetés de La Méprise, de Marivaux, et des Noces de Figaro, de Mozart.

« Cette période de hardiesse, de gaieté, de fantaisie, voire de licence, a aussi été, pour les arts, un temps de nouveauté, qui a irradié l’ensemble du XVIIIe », souligne Xavier Salmon, le commissaire, directeur du département des arts graphiques au Louvre. Comme en témoigne la diversité des deux cents pièces exposées, porcelaines de Sèvres (Hauts-de-Seine) et de Meissen (Allemagne) ou costumes de Pierrot, provenant de Bohême. Watteau meurt à 36 ans, en laissant quantité de dessins. Toute son oeuvre est gravée à l’eau forte par ses compatriotes et réunie dans le Recueil Jullienne, du nom du riche marchand et collectionneur d’art, ami et mécène du peintre. « Les modèles circulaient avec la plus grande facilité, en particulier grâce à l’estampe dont le commerce était florissant », souligne M. Salmon.

Le visiteur est accueilli par un théâtre d’ombres, couples qui dansent sur une comptine populaire : « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés. Entrez dans la danse, voyez comme on danse, sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez. »

La marquise de Pompadour, favorite de Louis XV, aurait adapté cette ronde du XIIIe siècle pour les enfants de La Madeleine-l’Evêque, hameau voisin de l’hôtel d’Evreux (actuel palais de l’Elysée) où elle est logée par le roi. Une manière, pour la marquise, de dire qu’elle n’a plus de relations sexuelles avec le souverain : au Moyen Age, les lauriers signalaient les maisons de prostitution.

Le double langage du XVIIIe siècle fera sauter les verrous, jusqu’à la royauté elle-même. Dans les tableaux, le myosotis signifie l’amour ; la cage, le mariage contraint ; la cruche brisée, la perte de la virginité ; la flûte, le pénis ; l’escarpolette, le jeu érotique. Goya s’approprie, en 1779, le sujet pour un carton à tapisserie destinée au palais du Pardo (Espagne). Il peint un groupe de paysans moqueurs, affalés à proximité de la balançoire des enfants de l’aristocratie enrubannés : la fracture sociale illustrée dix ans avant la Révolution française.

« Antidote en situation morose »

« Exposer un XVIIIe siècle galant, amoureux, un peu sucré, explique M. Salmon, c’est aussi l’occasion de véhiculer un message critique, celui d’une société qui s’abîme dans le plaisir, alors que le gouffre se creuse. »

Pourquoi cet engouement pour le XVIIIe ? Après Fragonard au Musée du Luxembourg, Vigée Le Brun au Grand Palais, le Louvre exposera, en 2016, Hubert Robert, Bouchardon, Le Brun. « C’est un grand moment de la peinture, de la sculpture, des arts décoratifs, avec un degré de perfection très élevé, souligne Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre. Une espèce d’antidote en situation morose. Une part de rêve avec ses faux-semblants, un moment de réflexion sur le monde et sa recomposition. Bousculées par la barbarie, les valeurs de la raison qui vont fonder le XIXe siècle sont requestionnées. »

Une manière aussi, pour le Louvre, d’inviter le public à redécouvrir ses propres collections. Une priorité pour Jean-Luc Martinez, son président. Après le département des objets d’art du XVIIIe, rouvert en 2014 avec éclat, la peinture française des Lumières vient d’être réinstallée dans vingt salles rénovées. C’est la collection la plus importante au monde, des centaines d’oeuvres d’art, dont les ensembles de Jean Siméon Chardin, Watteau, Jean-Baptiste Greuze et les reconstitutions de villes antiques imaginées par Hubert Rober. Les tableaux sont accrochés à la hauteur des yeux. Un régal pour le visiteur.

Le Monde du 18/02/2016