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Les brouillons de Baudelaire

afpLes épreuves corrigées des « Fleurs du mal » révèlent un autre Baudelaire

Pratiquement aucun de ses poèmes n’échappe à l’œil critique de Baudelaire qui biffe et rectifie à la plume tout ce qui lui semble incorrect. Le poète corrige une virgule mal placée ici, demande la modification de la police de caractère là, exige la modification de l’orthographe d’un mot ici encore. Tel Sisyphe, ce perfectionniste semble n’avoir de cesse de retravailler son texte. Certains poèmes sont corrigés à plusieurs reprises. Au final, cela donne un extraordinaire document que les éditions des Saints Pères ont pris l’initiative de publier pour la première fois. L’édition initiale, numérotée, ne comptera que 1000 exemplaires.

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Gustave Courbet, « Portrait de Baudelaire »

Ces épreuves corrigées ont été préemptées par la Bibliothèque nationale de France (BnF) en juin 1998 lors d’une vente aux enchères chez Drouot pour 3,2 millions de francs, une somme colossale pour ce type de document. Jamais encore publié, ce livre rare était consultable sur le catalogue numérique de la BnF, Gallica, mais le confort de lecture, la qualité de l’impression font de l’ouvrage publié ce lundi un document incomparable. Le livre de grand format (25×35 cm) est présenté dans un coffret. L’ouvrage est illustré par 13 dessins au crayon et à la plume qu’Auguste Rodin avait insérés dans son propre exemplaire des « Fleurs du mal ». Les mille remarques de Baudelaire avant d’accorder son « bon à tirer » à l’imprimerie agacent parfois son éditeur. Sur la page de garde, il se plaint : « Mon cher Baudelaire, voilà 2 mois que nous sommes sur les Fleurs du mal pour en avoir imprimé cinq feuilles. »

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Émile Deroy, « Baudelaire »

En fait de poète maudit, on découvre un Baudelaire tatillon, défenseur de la virgule, de l’accent aigu plutôt que de l’accent grave, de l’usage ou non de l’accent circonflexe. Dans la marge de « Bénédiction », un des premiers poèmes du recueil, Baudelaire s’interroge ainsi sur le mot « blasphême » tel qu’il est imprimé sur l’épreuve à corriger. « Blasphême ou blasphème ? gare aux orthographes modernes ! » met-il en garde. Des strophes sont modifiées comme dans « Un voyage à Cythère ». La robe de la muse ne s’ouvre plus « à des brises légères », mais « aux brises passagères ». Les deux dernières strophes de « Spleen », l’un de ses poèmes les plus connus (« Quand le ciel bas et lourd…), sont presque entièrement remaniées. La plume du poète barre la moitié des vers de la dernière strophe. Le livre est finalement publié le 25 juin 1857 chez Poulet-Malassis et de Broise. C’est une consécration pour le poète qui, comme en témoignent ses contemporains, aurait terminé la composition de la majeure partie de son sulfureux recueil au début des années 1850.

Quelques jours après la sortie des « Fleurs du mal », Baudelaire s’attire les foudres de la presse. La direction de la Sûreté publique saisit aussitôt le parquet pour offense à la morale publique et religieuse, et aux bonnes moeurs. L’auteur sait cependant que son écriture survivra. En juillet 1857, il écrit à sa mère : « On me refuse tout, l’esprit d’invention et même la connaissance de la langue française. Je me moque de tous ces imbéciles, et je sais que ce volume, avec ses qualités et ses défauts, fera son chemin dans la mémoire du public lettré, à côté des meilleures poésies de Victor Hugo, de Théophile Gautier et même de Byron. »

Source : dépêche AFP, le 15 juin 2015.

Baudelaire (illustration Google pour "L'Albatros")
Illustration Google faisant référence au poème de Baudelaire « L’Albatros »
L’albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.