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BNF – Émile Zola

L’exposition retrace à travers manuscrits, imprimés, affiches publicitaires et photographies, l’univers de l’écrivain. Le site donne accès à de larges extraits des dossiers préparatoire de Zola au cycle des Rougon-Macquart, et plus particulièrement à l’Assommoir et Au Bonheur des Dames.

Cliquer sur l’image ci-dessous pour accéder à l’exposition virtuelle

Site de la BNF - Exposition sur E. Zola
Site de la BNF – Exposition sur E. Zola

Le lien ci-dessous vous propose une lecture à la fois ludique et enrichie d’un de ses romans majeurs : Au Bonheur des Dames.

La partie « Lire » est centrée sur la lecture et la découverte du texte. Lambert Wilson donne une interprétation vivante et personnelle de larges extraits du roman. Des notes, fiches documentaires et illustrations issues des collections de la BnF et puisant largement dans les catalogues des grands magasins et illustrations de mode de l’époque viennent compléter cette découverte. Le lecteur peut également consulter une sélection de feuillets manuscrits, avec leur retranscription, du dossier préparatoire, recueil d’enquêtes, notes et ébauches, prises par l’écrivain en amont de la rédaction du roman, et apportant un précieux témoignage sur la méthode de travail du romancier.

La partie « Explorer » invite à aborder à travers ce roman un siècle de transformations sociales et de mouvements artistiques. Huit thèmes sont privilégiés : les femmes, la révolution industrielle, la naissance du commerce moderne, l’impressionnisme, l’orientalisme, le monde du travail, les transformations de Paris, Zola écrivain… Pour chacun, un témoignage audiovisuel, une anthologie et un album enrichissent la réflexion.

Zola - Au Bonheur des Dames
Zola – Au Bonheur des Dames

Zola et le naturalisme

Le naturalisme est un mouvement littéraire initié par Zola et qui marque la seconde moitié du XIXème siècle (1860-1890). L’école naturaliste qui est un prolongement du réalisme, est dite aussi école de Médan, du nom de la maison appartenant à Zola où les écrivains partageant cette même esthétique avaient l’habitude de se réunir (comme Huysmans et Maupassant).

Zola accentue la recherche de la vraisemblance en s’appuyant sur un travail minutieux de documentation. En effet, l’écrivain naturaliste cherche à décrire la réalité le plus objectivement possible en se basant sur des observations, des analyses, des enquêtes et même l’expérimentation. Ainsi, on cherche à appliquer à la littérature le modèle des sciences naturelles, d’où l’appellation de « naturaliste ». Pour Zola et ses disciples, le romancier doit savoir étudier scientifiquement la nature humaine et mettre au jour les lois qui la régissent. Il décrit d’ailleurs clairement cette ambition en 1890 dans le Roman expérimental  : « Si la méthode expérimentale a pu être portée de la chimie et de la physique dans la physiologie et la médecine, elle peut l’être de la physiologie dans le roman naturaliste » (Émile Zola).

Il montre l’influence sur l’homme de deux facteurs essentiels : l’hérédité et le milieu de vie. Ainsi dans La Fortune des Rougon-Macquart (1867) les destins de tous les membres de la famille sont déterminés par les tares de leurs ancêtres, la folie et l’alcoolisme. On donne également des origines médicales aux comportements humains : l’héroïne est hystérique, son mari asthénique et son amant sanguin.

Le naturalisme se pose enfin en opposition au lyrisme romantique que Zola qualifie de « démodé comme un jargon que nous n’entendons plus » (Mes Haines).

Bilan

  • Une révolution stylistique
  • Une précision documentaire et une objectivité scientifique
  • La dénonciation des illusions romantiques

Les auteurs naturalistes ont souvent fait l’objet de critiques et le terme a conservé une connotation péjorative (voir les caricatures ci-dessous). Sous la plume des critiques, ce mouvement évoque une offense au bon goût, une tendance à décrire les aspects vulgaires du réel, notamment en raison de la nette préférence de ces auteurs pour la population défavorisée, les lieux où règnent la pauvreté, le vice, la débauche.

Quelques œuvres naturalistes de Zola

  • Thérèse Raquin
  • La Fortune des Rougon-Macquart
  • Germinal
  • La Bête Humaine

Dossier documentaire réalisé par Camille Latrèche et Clélia Givon

Discours sur la misère

À la demande et sous la conduite de l’économiste Adolphe Blanqui, qui vient de publier une terrible enquête sur les classes ouvrières en 1848, Victor Hugo, accompagné de médecins et de quelques autres « autorités », se rend en février 1851 à Lille, afin de constater sur place les conditions de logement des ouvriers de l’industrie textile, décrites par Blanqui dans son rapport. Il est horrifié par ce qu’il découvre : chaque famille vit et travaille à domicile dans des conditions épouvantables, entassée dans des caves insalubres. À son retour, Hugo rédige pour l’Assemblée un discours, relatant avec force détails sa visite, citant « les premiers faits venus, ceux que le hasard nous a donnés dans une visite qui n’a duré que quelques heures. Ces faits ont au plus haut degré tout le caractère d’une moyenne. Ils sont horribles ». Ce discours, il ne le prononcera pas, mais il l’utilisera plus tard pour un poème de Châtiments, « Joyeuse vie ». (source : BNF)

hugo

« Je vous dénonce la misère, qui est le fléau d’une classe et le péril de toutes !
Je vous dénonce la misère qui n’est pas seulement la souffrance de l’individu,
qui est la ruine de la société, la misère qui a fait les jacqueries […], qui a fait juin 1848. »

Figurez-vous ces caves dont rien de ce que je vous ai dit ne peut donner l’idée ; figurez-vous ces cours qu’ils appellent des courettes, resserrées entre de hautes masures, sombres, humides, glaciales, méphitiques, pleines de miasmes stagnants, encombrées d’immondices, les fosses d’aisances à côté des puits !

Hé mon Dieu ! ce n’est pas le moment de chercher des délicatesses de langage !

Figurez-vous ces maisons, ces masures habitées du haut en bas, jusque sous terre, les eaux croupissantes filtrant à travers les pavés dans ces tanières où il y a des créatures humaines. Quelquefois jusqu’à dix familles dans une masure, jusqu’à dix personnes dans une chambre, jusqu’à cinq ou six dans un lit, les âges et les sexes mêlés, les greniers aussi hideux que les caves, des galetas où il entre assez de froid pour grelotter et pas assez d’air pour respirer !

Je demandais à une femme de la rue du Bois-Saint-Sauveur : Pourquoi n’ouvrez-vous pas les fenêtres ? Elle m’a répondu : — Parce que les châssis sont pourris et qu’ils nous resteraient dans les mains. J’ai insisté : — Vous ne les ouvrez donc jamais ? — Jamais, monsieur ! Figurez-vous la population maladive et étiolée, des spectres au seuil des portes, la virilité retardée, la décrépitude précoce, des adolescents qu’on prend pour des enfants, de jeunes mères qu’on prend pour de vieilles femmes, les scrofules, le rachis, l’ophtalmie, l’idiotisme, une indigence inouïe, des haillons partout, on m’a montré comme une curiosité une femme qui avait des boucles d’oreilles d’argent ! Et au milieu de tout cela le travail sans relâche, le travail acharné, pas assez d’heures de sommeil, le travail de l’homme, le travail de la femme, le travail de l’âge mûr, le travail de la vieillesse, le travail de l’enfance, le travail de l’infirme, et souvent pas de pain, et souvent pas de feu, et cette femme aveugle, entre ses deux enfants dont l’un est mort et l’autre va mourir, et ce filetier phtisique agonisant, et cette mère épileptique qui a trois enfants et qui gagne trois sous par jour ! Figurez-vous tout cela et si vous vous récriez, et si vous doutez, et si vous niez… Ah ! Vous niez ! Eh bien, dérangez-vous quelques heures, venez avec nous, incrédules, et nous vous ferons voir de vos yeux, toucher de vos mains, les plaies, les plaies saignantes de ce Christ qu’on appelle le peuple !

 Victor Hugo, Discours à l’Assemblée nationale, 30 juin 1850.

Germinal

Le roulement de tonnerre approchait, la terre fut ébranlée, et Jeanlin galopa le premier, soufflant dans sa corne.

« Prenez vos flacons, la sueur du peuple qui passe ! » murmura Négrel, qui, malgré ses convictions républicaines, aimait à plaisanter la canaille avec les dames.

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Image extraite du film de C. Berri (1993)

Mais son mot spirituel fut emporté dans l’ouragan des gestes et des cris. Les femmes avaient paru, près d’un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d’enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l’agitaient, ainsi qu’un drapeau de deuil et de vengeance. D’autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d’un seul bloc, serrée, confondue, au point qu’on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant La Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l’étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine.

« Quels visages atroces ! » balbutia Mme Hennebeau.

Négrel dit entre ses dents :

« Le diable m’emporte si j’en reconnais un seul ! D’où sortent-ils donc, ces bandits-là ? »

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Image extraite du film de C. Berri (1993)

Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. À ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d’un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

« Oh ! superbe ! » dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d’artistes par cette belle horreur.

Elles s’effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Mme Hennebeau, qui s’était appuyée sur une auge. L’idée qu’il suffisait d’un regard, entre les planches de cette porte disjointe, pour qu’on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d’ordinaire, saisi là d’une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvantes qui soufflent de l’inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.

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Image extraite du film de C. Berri (1993)

C’était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois. Il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient ces mâchoires de loups, ouvertes pour mordre. Oui, ce seraient les mêmes guenilles, le même tonnerre de gros sabots, la même cohue effroyable, de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes, on retournerait à la vie sauvage dans les bois, après le grand rut, la grande ripaille, où les pauvres, en une nuit, efflanqueraient les femmes et videraient les caves des riches. Il n’y aurait plus rien, plus un sou des fortunes, plus un titre des situations acquises, jusqu’au jour où une nouvelle terre repousserait peut-être. Oui, c’étaient ces choses qui passaient sur la route, comme une force de la nature, et ils en recevaient le vent terrible au visage.

Émile Zola, Germinal, 1885.

L’Assommoir

Par exemple, il y eut là un fameux coup de fourchette ; c’est-à-dire que personne de la société ne se souvenait de s’être jamais collé une pareille indigestion sur la conscience. Gervaise, énorme, tassée sur les coudes, mangeait de gros morceaux de blanc, ne parlant pas, de peur de perdre une bouchée ; et elle était seulement un peu honteuse devant Goujet, ennuyée de se montrer ainsi, gloutonne comme une chatte. Goujet, d’ailleurs, s’emplissait trop lui-même, à la voir toute rose de nourriture. Puis, dans sa gourmandise, elle restait si gentille et si bonne ! Elle ne parlait pas, mais elle se dérangeait à chaque instant, pour soigner le père Bru et lui passer quelque chose de délicat sur son assiette. C’était même touchant de regarder cette gourmande s’enlever un bout d’aile de la bouche, pour le donner au vieux, qui ne semblait pas connaisseur et qui avalait tout, la tête basse, abêti de tant bâfrer, lui dont le gésier avait perdu le goût du pain. Les Lorilleux passaient leur rage sur le rôti ; ils en prenaient pour trois jours, ils auraient englouti le plat, la table et la boutique, afin de ruiner la Banban du coup. Toutes les dames avaient voulu de la carcasse ; la carcasse, c’est le morceau des dames. Mme Lerat, Mme Boche, Mme Putois grattaient des os, tandis que maman Coupeau, qui adorait le cou, en arrachait la viande avec ses deux dernières dents. Virginie, elle, aimait la peau, quand elle était rissolée, et chaque convive lui passait sa peau, par galanterie ; si bien que Poisson jetait à sa femme des regards sévères, en lui ordonnant de s’arrêter, parce qu’elle en avait assez comme ça : une fois déjà, pour avoir trop mangé d’oie rôtie, elle était restée quinze jours au lit, le ventre enflé.

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Mais Coupeau se fâcha et servit un haut de cuisse à Virginie, criant que, tonnerre de Dieu ! si elle ne le décrottait pas, elle n’était pas une femme. Est-ce que l’oie avait jamais fait du mal à quelqu’un ? Au contraire, l’oie guérissait les maladies de rate. On croquait ça sans pain, comme un dessert. Lui, en aurait bouffé toute la nuit, sans être incommodé ; et, pour crâner, il s’enfonçait un pilon entier dans la bouche. Cependant, Clémence achevait son croupion, le suçait avec un gloussement des lèvres, en se tordant de rire sur sa chaise, à cause de Boche qui lui disait tout bas des indécences. Ah ! nom de Dieu ! oui, on s’en flanqua une bosse ! Quand on y est, on y est, n’est-ce pas ? et si l’on ne se paie qu’un gueuleton par-ci, par-là, on serait joliment godiche de ne pas s’en fourrer jusqu’aux oreilles. Vrai, on voyait les bedons se gonfler à mesure. Les dames étaient grosses. Ils pétaient dans leur peau, les sacrés goinfres ! La bouche ouverte, le menton barbouillé de graisse, ils avaient des faces pareilles à des derrières, et si rouges, qu’on aurait dit des derrières de gens riches, crevant de prospérité.

Et le vin donc, mes enfants, ça coulait autour de la table comme l’eau coule à la Seine. Un vrai ruisseau, lorsqu’il a plu et que la terre a soif. Coupeau versait de haut, pour voir le jet rouge écumer ; et quand un litre était vide, il faisait la blague de retourner le goulot et de le presser du geste familier aux femmes qui traient les vaches. Encore une négresse qui avait la gueule cassée ! Dans un coin de la boutique, le tas des négresses mortes grandissait, un cimetière de bouteilles sur lequel on poussait les ordures de la nappe.

Émile Zola, L’Assommoir, chapitre VII, 1877.