Quand le FBI enquêtait sur le romancier Ray Bradbury

La science-fiction ne semble pas être un genre littéraire particulièrement apprécié par les agents du FBI. Ray Bradbury, l’auteur du célèbre roman Fahrenheit 451, a été surveillé par les « G-Men » pendant près de dix ans, notamment en raison de ses écrits, comme le rapporte Boingboing. Le site se fonde sur le dossier de quarante pages désormais déclassifié que le FBI possédait sur M. Bradbury.

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Légende des romans d’anticipation et de la science-fiction, Ray Bradbury est un des principaux romanciers américains du XXe siècle. Il était également connu pour ses prises de positions libérales. En 2010, dans un entretien accordé au Los Angeles Times, l’auteur réputé pour son franc-parler estimait que les Etats-Unis auraient bien besoin d’une « révolution » pour mettre fin au pouvoir trop important du « gouvernement ».

Une quarantaine d’années plus tôt, les autorités américaines craignaient pourtant davantage que les envies révolutionnaires de l’écrivain soient davantage drapées de communisme.

L’enquête du FBI sur le romancier a commencé en 1959 et s’est achevée neuf ans plus tard, en 1968. Dans ce dossier, un informateur du FBI du nom de Martin Berkeley dresse dans ce dossier un portrait sans concession de M. Bradbury, qui aurait entretenu « des sympathies avec des éléments pro-communistes » aux Etats-Unis. Un acte hautement répréhensible en cette période de guerre froide, mais les agents du FBI n’ont aucune preuve de ces affirmations, et n’en trouveront a priori jamais. Sa vive opposition au maccarthysme lui a également été reprochée.

Pourtant, comme le souligne The Register, son ouvrage phare, Fahrenheit 451, publié en 1953 et vendu à plus de 50 000 exemplaires en quelques jours, a été interdit en Russie. Moscou a estimé que l’auteur américain faisait ouvertement référence au type de gouvernement communiste en place en URSS. Mais le FBI n’a pas semblé trouver cela étrange…

Le même M. Berkeley poursuit son réquisitoire à charge en arguant que « la science-fiction peut faciliter l’introduction des idéologies communistes », révèle le site Muckrock. Il estime également que « certaines histoires de Bradbury ont été délibérément orientées contre les Etats-Unis et son économie capitaliste ».

Une enquête aux allures de critique littéraire

Pire encore, un autre informateur s’en prend directement au genre de la science-fiction :

« L’objectif de ces écrivains de science-fiction est d’effrayer les gens et de les maintenir dans un état de paralysie ou d’incompétence psychologique proche de l’hystérie qui rendrait très possible le déclenchement d’une troisième guerre mondiale dans laquelle le peuple américain ne pourrait croire en sa victoire depuis que son moral a été complètement détruit. »

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Mais après plusieurs années, l’enquête sur l’auteur ne donne toujours rien de concret. Le dossier prend alors davantage des allures de critique littéraire. L’agent John S. Temple écrit, à propos des Chroniques martiennes, que ce livre véhicule un message dégradant :

« Les nouvelles sont reliées entre elles par un thème récurrent, selon laquelle les Terriens sont des spoliateurs et non des bâtisseurs. »

Par la suite, le FBI s’intéressera à un voyage à Cuba. Il était censé assister à un congrès sur la culture, mais les informations sont bancales et une confusion avec un certain Roy Bradbury est possible. Au final, le FBI conclut sur cet énigmatique voyage : « Bradbury pourrait tout à fait être du genre à être invité au Congrès sur la culture de la Havane, étant donné ses opinions libérales ».

Ray Bradbury, mort en 2012 à l’âge de 91 ans, n’a appris qu’en 2005 l’existence de ce dossier du FBI à son sujet, comme le rapporte le Guardian. C’est son biographe, Sam Weller, qui lui en a parlé pour la première fois. La réponse teintée de surprise du romancier ne laisse pas de place au doute : « Ça alors, avait-il dit. Je n’ai jamais rien eu à cacher pendant toutes ces années – sur quoi ont-ils pu enquêter ? Quel ennui. »

Article publié dans Le Monde du 25/08/2015.