Quel avenir pour la lecture ?

Voici un extrait du discours prononcé par J.-M. G. Le Clézio lors de la réception du prix Nobel qui lui est décerné le 7 décembre 2008 :

Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’Internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l’âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n’est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’écriture.

Aujourd’hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d’exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d’être entendus dans leur diversité. Sans leur voix, sans leur appel, nous vivrions dans un monde silencieux.

La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs. Il est vrai qu’il est injuste qu’un Indien du Grand Nord canadien, pour pouvoir être entendu, ait à écrire dans la langue des conquérants – en français, ou en anglais. Il est vrai qu’il est illusoire de croire que la langue créole de Maurice ou des Antilles pourra atteindre la même facilité d’écoute que les cinq ou six langues qui règnent aujourd’hui en maîtresses absolues sur les médias. Mais si, par la traduction, le monde peut les entendre, quelque chose de nouveau et d’optimiste est en train de se produire. La culture, je le disais, est notre bien commun à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés, à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays.

J.-M. G. Le Clézio, Dans la forêt des paradoxes.

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