Écrire, un art exigeant

Interrogé par Gérard de Cortanze pour le Magazine littéraire, J.-M. Le Clézio définit son travail d’écrivain comme une entreprise difficile et exigeante.

Il est très difficile de parler de ce qu’on écrit, parce qu’on écrit d’abord pour une raison qu’on ne comprend pas. Si on la comprenait, peut-être arrêterait-on d’écrire… Écrire est un besoin… C’est à l’intérieur de vous-même, ça a besoin de sortir, et de sortir sous cette forme. Si vous modifiez la structure de ce que vous faites, il me semble qu’alors vous n’aurez plus envie de continuer. Écrire n’est pas facile. Écrire est un art, qui demande beaucoup d’entraînement ; je veux dire, qui exige davantage que de connaître le dictionnaire de la langue française et la syntaxe de cette langue. Il faut avoir lu des auteurs, les avoir digérés, avoir éprouvé le besoin de faire mieux qu’eux.

[…] Pour écrire une langue, il ne suffit pas d’un dictionnaire et d’une grammaire ; il faut autre chose. C’est justement à ce moment que j’ai compris qu’il fallait autre chose, et que cette autre chose, c’était la digestion, la transsubstantiation, la transmutation de ce qu’on recevait en lisant. Toute cette chimie qui s’opère en vue d’écrire ce qu’on a à écrire soi-même, c’est-à-dire, en quelque sorte, d’affirmer son existence, et ce qu’on est, à travers les mots. […] J’ai l’impression, parfois, d’avoir écrit énormément. Je me souviens d’un jour où je parlais avec Michel Butor […] et il me disait : « On écrit trop ». Alors je pensais : « Est-ce que c’est vrai ? » Et cela m’inquiétait. Je me disais : « Je devrais brûler tout ce que j’ai écrit. Ce ne sont là que des choses inutiles. Un bon autodafé, rien de tel ! » Mais, réflexion faite, cela me donnait immédiatement un argument irréfutable : puisque tout ce que j’ai fait est inutile, il faut que je continue ; peut-être trouverais-je enfin quelque chose d’utile… J’en concluais qu’un écrivain est sans doute quelqu’un d’impair fait, qui n’est pas terminé, et qui écrit, justement, en vue de cette terminaison ; et qui recherche inlassablement cette perfection.

Source : Le Magazine Littéraire