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Aux confins du confort

Cafetière, sofa, luminaires… A Nancy, une exposition interroge notre rapport intime aux objets du quotidien.

Signes d’une époque consumériste, nos intérieurs n’ont jamais été aussi chargés d’objets censés améliorer notre bien-être. Mais que cache ou révèle la notion de confort, aujourd’hui dans les pays industrialisés ? Telle est l’intelligente question que soulève l’exposition « Zones de confort » à la galerie Poirel, à Nancy, jusqu’au17 avril.

La réponse prend la forme d’un petit théâtre des vanités où les objets-acteurs de notre bien-être – une centaine de pièces puisées dans les collections du Centre national des arts plastiques (CNAP) – paradent au milieu des salles, mis en scène par Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, alias GGSV. Le public est invité à entrer par l' »Office », où trônent de rutilants appareils ménagers. Cafetière, machine à laver, fer à repasser ou Cocotte-Minute… sont disposés sur une grande roue aux lumières clinquantes, façon présentoir de grand magasin.

Ces assistants domestiques d’aujourd’hui, symboles du « confort moderne », doivent, historiquement, beaucoup au design. « Il a fallu habiller moteurs, résistances, turbines, et définir les interfaces de commande de ces machines domestiques aux opérations parfois complexes », souligne Stéphane Villard, co-commissaire de l’exposition. Le design s’est posé en garant de la compréhension et de la manipulation, facilitant l’usage et l’entretien. »

Le réalisateur Jacques Tati, dans « Mon oncle » (1958), appelle à se méfier de ces machines qui risquent d’asservir l’humain. Cependant, de 1950 à 1970, les foyers français s’équipent à tour de bras, grâce à la production industrielle des appareils ménagers qui les rend accessibles. Bonne nouvelle : les corvées domestiques (traditionnellement attribuées à la « ménagère ») s’allègent considérablement, en temps passé comme en pénibilité. « La femme a gagné quatre semaines de congés supplémentaires » (par rapport à la lessive à la main), clame une publicité pour une machine à laver Brandt, en 1963. Contrepartie : une horloge – présentée dans l’exposition – invite à observer, en temps réel, les consommations d’eau, de gaz, d’électricité… qui accompagnent chaque nouvel équipement.

La zone suivante, baptisée « Réception », donne à voir ce qui contribue au repos dans les salons bourgeois. Du fauteuil-trône en chêne dur revêtu d’une fourrure, par Jean Royère (1948), au célèbre canapé Togo (1973), assise molle posée à même le sol, créé par Michel Ducaroy pour Ligne Roset : en deux décennies, se vautrer est le nouvel art de vivre. Le corps tout entier se décontracte. Les conventions sociales, jusqu’alors garantes de la « bonne tenue », autorisent même de faire son nid dans le pouf Sacco (1968), ce sac de billes qui se modèle aux contours de l’utilisateur, ou dans ce siège Pratone (1966), une pelouse synthétique gag dont on plie telle ou telle herbe pour s’y blottir.

Le fauteuil à peluches

Le public est lui-même invité à lâcher prise : en s’asseyant dans le sofa Ploum des frères Bouroullec, moelleux croissant apte à accueillir toute une nichée – l’image mentale du confort ergonomique et psychologique réunis -, ou en se jetant dans cette pieuvre géante, un « dispositif de repos collectif à positions multiples » inventé par l’artiste et designer Florence Doléac, en 2008, pour « réveiller l’enfant qui sommeille en nous » (soit, des boules de Pilates entre deux moquettes).

On pourrait croire que la suite de l’exposition va encore « réconforter » le visiteur. Il n’en est rien. Après une série d’objets « amicaux » ou ludiques, tels que le fauteuil recouvert de peluches des frères Campana ou ce téléviseur Zéo, dit « culbuto », s’inclinant à droite ou à gauche pour être regardé en position allongée, c’est la douche froide. Le design optimiste des années 1990, bouleversant les codes formels avec poésie ou espièglerie, laisse la place à des créations post-11-Septembre plus ambivalentes. « Etranges, voire inquiétants, les objets se font l’écho d’une société précaire, tourmentée par l’imaginaire de la catastrophe », analyse Juliette Pollet, responsable de la collection design au CNAP et co-commissaire de l’exposition. Le public est invité à la table d’un banquet funèbre, dans la dernière pièce dite « Antichambre » (annonciatrice du futur). Ici trônent la banquette BDC de Robert Stadler, dématérialisée au point de se résumer à deux bouts de canapé, la chaise Homme à la figure acéphale de Ruth Francken ou le tabouret W. W. en forme d’épines de Starck.

« Lentement, tout ce dont nous n’avons plus besoin disparaît », peut-on lire sur l’aspirateur de Jurgen Bey qui fait naître un fauteuil fantomatique du sac qui se remplit de poussière. Tabouret en tôle froissée comme une carrosserie emboutie (François Azambourg), chaise Cloning, grotesque quoique empruntant aux caractéristiques physiques de son propriétaire (5-5 Designers), chien robotisé (Sony), ou carafe en verre prise dans une mâchoire d’os (Formafantasma) : il est question de clonage, de robotisation, de Memento mori.

La carafe filtrante d’Alberto Meda, le purificateur d’air de Mathieu Lehanneur, qui met la nature sous cloche, ou la lampe-détecteur de CO2 de Pierre Charrié, qui frémit à chaque seuil dépassé, trahissent « une relation angoissée face à des éléments naturels – l’eau, l’air -, rendus menaçants par notre propre activité », analysent les commissaires de l’exposition. Finalement, au moment où l’on pourrait croire le bien-être du corps et de l’esprit acquis, il s’échappe encore, restant à conquérir.

« Le confort est une notion omniprésente qui ne cesse pourtant d’être fuyante », résume Juliette Pollet, heureuse d’avoir réussi à faire sortir le visiteur de sa « zone de confort ».

Véronique Lorelle, Le Monde du 11/02/2016

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« Cette idée de bien-être est apparue à la cour de Louis XIV »

Juliette Pollet est conservatrice du patrimoine et responsable de la collection design du Centre national des arts plastiques. Après l’exposition à Nancy, elle publie, au printemps, avec Tony Côme, l’anthologie L’Idée de confort.

A quand remonte la notion de confort qui nous semble aujourd’hui si naturelle ?

On pourrait longtemps débattre de ce qui constituent les premières stratégies élaborées par les hommes pour améliorer leur bien-être : le feu ? Les peaux à l’entrée de la caverne ? De manière moins hasardeuse, la conception du confort telle que nous la partageons encore aujourd’hui naît au XVIIIe.

Selon l’Américain Edgar Kaufmann Jr, auteur de Comfort, What Is a Modern Interior Design ?, paru en 1953, l’idée du confort est apparue à la cour de Louis XIV, où l’aristocratie oisive aurait développé une attitude sans gêne – des manières courtoises, mais simples et sans contraintes -, à mesure que le Roi-Soleil vieillissait.

Plus récemment, John E. Crowley, auteur en 2003 de The Invention of Comfort, observe à cette époque l’émergence d’une nouvelle définition de l’intime avec de nouvelles typologies d’objets laissant plus de place au bien-être, de la méridienne au service à chocolat. Les appartements se font plus petits et mieux distribués, les assises s’adaptent manifestement au corps, les accessoires liés à la toilette et aux loisirs se multiplient…

Le design joue-t-il aussi un rôle pour satisfaire nos esprits ?

Cette question en amène une autre : la satisfaction de nos esprits conduit-elle fatalement à leur assoupissement, voire leur aliénation ? C’est en tout cas ce que pointe un certain nombre de penseurs critiques, qui lient prolifération des objets et discipline capitaliste. Inversement, dans l’exposition « Zones de confort » à Nancy (jusqu’au 17 avril), un certain nombre d’objets « ouverts », qui échappent aux conventions, sont rassemblés sur ce que nous avons baptisé L’Aire de jeux.

Loin d’un confort qui serait uniquement pratique ou ergonomique, ces objets ludiques déjouent les attentes et nourrissent les rêves. C’est le cas de cette chaîne stéréo modulable aux allures de galets Rock’n’Rock, de cette rallonge électrique façon boa de fourrure ou de ce mobilier modulaire Baby-Lonia, qui s’apparente à un jeu de cubes.

Le confort, dites-vous, est toujours fuyant… Est-ce pour cela que vous préparez une anthologie ?

Parallèlement à l’exposition de la galerie Poirel, avec Tony Côme, professeur aux Beaux-Arts de Rennes, nous avons mené un travail de collecte et d’organisation de textes pour une anthologie, en traduisant notamment des textes d’auteurs peu connus en France, comme l’anthropologue et architecte d’origine autrichienne Christopher Alexander, le psychanalyste allemand Alexander Mitscherlich ou le peintre et designer argentin Tomás Maldonado. Nous avons rassemblé des essais critiques, des témoignages de designers et de la littérature médicale ou des planches issues d’un traité de menuiserie. On y verra les schémas de pionniers de l’ergonomie, tel le Français Alain Wisner, qui, en voulant modéliser le corps humain, le réduit à une mécanique régie par les lois de la physique.

C’est dire si le confort, ce terme banal, ouvre sur des questionnements fondamentaux dans le champ du design, liés à l’économie, la politique, et partant, la philosophie.

Propos recueillis par Véronique Lorelle.

Intelligence artificielle : l’humain battu !

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Un programme de Google a remporté un match contre un professionnel de ce sport cérébral. Une première.

Coup de maître dans l’univers de l’intelligence artificielle. Pour la première fois, un ordinateur a battu un joueur de go professionnel, comme le détaille un article de recherche publié dans la revue Nature du jeudi 28 janvier. Ses vingt auteurs sont tous membres de Google DeepMind, une entreprise britannique créée en 2010 et qui a été rachetée en 2014 par le géant californien. Leur algorithme, AlphaGo, a battu l’actuel champion européen,Fan Hui, par cinq victoires à zéro en octobre 2015 à Londres. Il n’a en outre perdu qu’une partie sur 500 contre les meilleurs programmes déjà sur le marché. Fan Hui a, lui, mieux résisté dans des parties rapides, perdant 3 à 2.

« C’est époustouflant ! », s’exclame Olivier Teytaud, spécialiste en intelligence artificielle à l’institut national de recherche dédié au numérique (Inria) et auteur de MoGo, un programme qui avait obtenu en 2009 une première victoire contre un professionnel sur une version réduite du plateau de jeu. « L’équipe de Google est une classe au-dessus de tout le monde. La différence de niveau est gigantesque », ajoute Rémi Coulom, ancien maître de conférences à l’université Lille-III, aujourd’hui développeur indépendant dans l’intelligence artificielle pour les jeux.

Il est surtout le créateur de Crazystone, un des deux meilleurs programmes actuels de jeu. « Je n’attendais pas de tels progrès avant dix ou quinze ans. C’est très impressionnant », complète Tristan Cazenave, professeur à l’université Paris-Dauphine, spécialiste de la programmation des jeux.

Réseaux de neurones

Cet exploit est annoncé quasiment vingt ans jour pour jour après la première défaite,lors d’une partie classique, du champion d’échecs Garry Kasparov contre l’ordinateur d’IBM Deep Blue, qui avait battu le Russe en match complet en 1997. L’équivalent pour le go de cette rencontre mythique est annoncé par Google DeepMind en mars à Séoul, lorsque AlphaGo affrontera le meilleur joueur du monde actuel, le Sud-Coréen Lee Sedol.

Le jeu de go a été inventé en Chine il y a environ trois mille ans et est arrivé en Europe il y a seulement un siècle. Deux joueurs tentent de se partager un plateau de 19 lignes sur 19 en créant des territoires qu’ils délimitent grâce à des frontières formées de pierres noires et blanches. Il est très difficile à simuler, tellement le nombre de combinaisons à explorer est grand, estimé à 10170 (un suivi de 170 zéros). Contre 10120 environ aux échecs. Jusqu’à présent, les programmes n’avaient battu les professionnels que dans des parties dites à handicap, avec quatre pierres d’avance.

Profitant de la puissance des ordinateurs, les meilleurs algorithmes actuels, Crazystone ou Zen, évaluent la pertinence des coups en jouant des milliers de parties aléatoires. Le pourcentage de parties gagnantes donne une estimation de la probabilité de victoire finale. Une version améliorée de ces simulations dites Monte-Carlo a été proposée au milieu des années 2000. « Le Monte-Carlo est devenu plus intelligent. Au lieu de simuler n’importe comment, on simule de plus en plus les bons coups. Cela permet de fouiller les bonnes zones de l’arbre des possibilités », résume Olivier Teytaud.

Pour faire encore mieux, l’équipe de DeepMind a ajouté deux ingrédients qui ont prouvé leur efficacité dans d’autres domaines : les réseaux de neurones profonds (ou « deep learning ») et l’apprentissage renforcé.

La première technique remonte aux prémices de l’intelligence artificielle. Il s’agit d’une fonction mathématique aux paramètres ajustables de manière à fournir la meilleure réponse possible. Cette fonction est en fait la combinaison de milliers de variables reliées entre elles comme un réseau de neurones biologiques. Grâce notamment au Français Yann -LeCun, une percée a été effectuée dans les années 1990 afin de calculer rapidement et efficacement les meilleures « connexions ».

Dans les années 2000, ces techniques ont considérablement amélioré la reconnaissance vocale, permettant la réalisation des assistants vocaux des mobiles, Siri, Cortana ou Google Now. Le deep learning fait aussi merveille dans la reconnaissance d’images, surpassant là aussi les méthodes antérieures. Son succès repose notamment sur des quantités énormes d’informations (images, textes, sons…) nécessaires pour « stimuler » et construire le réseau de neurones. AlphaGo s’est ainsi nourri de 30 millions de mouvements de joueurs professionnels.

Une seconde technique, spécialité de DeepMind, est l’apprentissage renforcé. En faisant jouer l’algorithme contre lui-même, les chercheurs améliorent leur réseau neuronal. C’est avec ces techniques que l’entreprise avait déjà fait parler d’elle en février 2015 en réalisant une machine capable de jouer à 49 jeux vidéo sans en connaître les règles et à parfois gagner.

« Ces trois méthodes ne sont pas nouvelles, mais la combinaison des trois pour le go l’est », constate Yann LeCun, à la tête du laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook. Un de ses collègues, Yuandong Tian, a d’ailleurs lui-même proposé récemment un programme, Darkforest, utilisant le deep learning et qui, selon des résultats à paraître, serait au niveau de Crazystone ou de Zen.  » Le nouveau DarkForest, qui incorpore l’apprentissage par renforcement, sera prêt dans quelques mois « , indique Yann LeCun.

Les deux entreprises vedettes de la Silicon Valley se concurrencent donc aussi sur les plateaux de go. Avec quelques différences. Le logiciel de Facebook est déjà en ligne sur les plates-formes de jeu de go et chacun peut l’évaluer. Google a opté pour le secret et la publication d’un article de recherche dans une revue à comité de lecture. Mais aussi pour le spectaculaire, avec l’annonce du match de mars à Séoul, équivalent du fameux affrontement entre IBM et Kasparov.

Fossé important

L’issue de ce match  » humain contre machine « est loin d’être certaine. » J’aurai le privilège d’affronter pour la première fois un ordinateur. J’ai entendu dire qu’AlphaGo est étonnamment fort et s’améliorera encore, mais je suis confiant que je pourrai gagner, au moins cette fois-ci », a déclaré Lee Sedol par l’entremise de la revue Nature. Ce dernier est bien mieux classé que Fan Hui. « Il y a un fossé important entre AlphaGo et les autres programmes. Celui-ci n’est pas très loin des meilleurs joueurs du monde, mais il n’est pas encore au niveau de Sedol, même s’il s’en est rapproché sacrément. Battre Sedol en mars, c’est ambitieux. Mais vu les avancées effectuées en un an, ils peuvent encore progresser », estime Tristan Cazenave.

Ces progrès en intelligence artificielle permettent aux géants du numérique de mieux traiter les masses de données qu’ils génèrent, mais aussi de les analyser pour proposer de meilleurs services, comme la recommandation de contenus, par exemple. Lors de la conférence de presse organisée par Nature mardi 26 janvier, Demis Hassabis, fondateur de DeepMind, était peu disert sur les perspectives futures, évoquant « la modélisation climatique, le diagnostic médical ou d’autres jeux, comme le poker ».

Quant aux questions éthiques soulevées par ces progrès des machines supplantant l’humain, -Demis Hassabis a répondu : « Nos systèmes apprennent par eux-mêmes de l’expérience, mais c’est nous qui décidons de ce sur quoi ils apprennent. On parle d’un jeu. Complexe, certes, mais il est plus accessible aux ordinateurs que des problèmes généraux du monde réel. Ces technologies doivent bénéficier à tous. En outre, nous nous sommes mis d’accord avec Google pour qu’elles ne soient pas utilisées à des fins militaires. »

D’ici à mars, son équipe pourra méditer l’adage coréen rappelé par une journaliste lors de la conférence de presse : « Au go, si tu veux seulement gagner, tu ne peux pas gagner. »

David Larousserie, et Morgane Tual, Le Monde du 29/01/2016

Quelques dates

1952
Le logiciel de l’université de Cambridge, OXO, est le premier programme informatique à jouer et gagner au morpion contre les humains.
1997
La machine Deep Blue d’IBM bat le champion du monde d’échecs, le Russe Garry Kasparov.
2011
L’ordinateur Watson d’IBM gagne au jeu de questions Jeopardy ! contre deux champions américains.
2015
L’algorithme AlphaGo écrase au go un professionnel, le champion d’Europe Fan Hui, et défiera le numéro un mondial, Lee Sedol, en mars.

Ellis Island, « Unframed »

UNFRAMED Ellis Island est un projet qui vise à faire revivre la mémoire d’Ellis Island, le point d’entrée aux Etats-Unis pour des millions d’immigrants. Arrivant du monde entier, laissant leurs familles, leurs possessions et leur passé derrière eux, avec la peur d’être renvoyés, la présence de ces gens qui ont fait les Etats-Unis d’aujourd’hui peut encore être sentie dans les bâtiments abandonnés. JR réinterprète ces histoires à travers des collages dans les bâtiments de l’île.

En août 2014, JR est invité à travailler sur la partie abandonnée d’Ellis Island. Cette île, à côté de la Statue de la Liberté, est symbolique – le point d’entrée aux Etats Unis de 12 millions d’immigrants, entre 1892 et 1954. Sur la partie sud de l’île, l’hôpital qui recevait les nouveaux arrivants malades est abandonné depuis 1954. JR a exploré les archives d’Ellis Island et créé une vingtaine de collages dans ces bâtiments si chargés d’histoires.

Source  : http://www.jr-art.net/fr/projets/unframed-ellis-island

La sanction de l’«obsolescence programmée»

Un signal aux industriels

L’«obsolescence programmée», visant à réduire la durée de vie d’un produit, est désormais sanctionnée par la loi en France, manière de lancer un avertissement aux industriels même si ce type de délit sera difficile à caractériser devant un juge. «Ensemble des techniques» permettant à un «metteur sur le marché» d’écourter «délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement», l’obsolescence programmée est punie de deux ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, stipule l’article 99 de la loi sur la transition énergétique votée le 22 juillet. Cette disposition, présentée pendant le débat au Parlement comme une première en Europe, prévoit même que «le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel».

Le but premier n’est pas de lancer de lourdes enquêtes de police, mais de faire mesurer les risques encourus aux protagonistes, explique le député (EELV) François-Michel Lambert.
«Un peu comme pour l’abus de bien social en comptabilité», explique-t-il: «désormais, le manager et l’ingénieur à qui il demande une solution pour provoquer la panne, savent qu’ils risquent gros». Initiative de parlementaires écologistes, ce dispositif, qui vise à la fois à protéger l’environnement et à défendre le pouvoir d’achat des ménages, sera inscrit au code de la consommation une fois la loi promulguée.

L’obsolescence accélérée, notamment dans l’électroménager et la high tech, peut avoir différentes origines: fragilités, absence de pièces détachées, incompatibilité avec des équipements nouveaux, renouvellement des systèmes… Les organisations de défense de l’environnement pointent régulièrement du doigt l’impact massif sur les ressources et des déchets toujours plus envahissants. Parmi les exemples célèbres, les chargeurs de téléphone portable qui changent au gré des nouveaux modèles. Pour France Nature Environnement (FNE), la loi française est « un signal politique fort envoyé aux fabricants, aux distributeurs et aux citoyens ». « Les ONG et les associations de consommateurs pourront aussi s’en servir pour interpeller les acteurs économiques, pousser à plus d’éco-conception des produits», ajoute Agnès Banaszuk, chargée du dossier déchets chez FNE, qui y met cependant un bémol de taille: la difficulté à plaider la cause au tribunal.

Informer le consommateur

Le plaignant devra à la fois montrer que la durée de vie est raccourcie (et donc, quelle aurait dû être la durée théorique), qu’il y a eu pour cela une «technique» mise en oeuvre, et enfin et surtout une intention délibérée, énumère l’avocat Arnaud Gossement, spécialiste du droit de l’environnement. L’usage par le consommateur et la gamme de l’appareil entreront aussi en ligne de compte.

« Apporter ces preuves ne va pas être évident», relève le juriste, tout en soulignant «la vocation pédagogique du texte, avant d’être judiciaire: c’est un signal envoyé au marché».
«La volonté du législateur est d’avancer pour une durabilité des produits, on ne peut que le saluer», souligne Cédric Musso, de l’UFC-Que Choisir. «Mais nous aurions souhaité que le caractère +intentionnel+ soit retiré de la définition. Car s’il n’est pas possible de le démontrer – en tout cas les ingénieurs de l’UFC n’y sont pas parvenus – cela réduit la portée du dispositif ».

Plus que la sanction, l’association de consommateurs évoque d’autres leviers pour agir sur la disponibilité des pièces détachées, qui est « le vrai problème aujourd’hui, pour tous les appareils composites ». Ainsi la « présomption de conformité », qui bénéficie, dans la garantie, au consommateur, va être étendue de 6 mois à deux ans, dès mars. « Ça c’est une vraie avancée pour progresser vers une réparabilité des appareils », estime M. Musso. « Il faudrait mieux informer les consommateurs, dès l’achat, sur la disponibilité des pièces détachées », ajoute-t-il. Un dispositif de la loi Hamon allant dans ce sens a vu sa portée amoindrie par un décret qui au final a laissé cette démarche au bon vouloir des fabricants.

Article publié dans 20 minutes le 28/07/2015.

La « monophobie »

La nomophobie n’est pas la « phobie des lois » comme son étymologie semble l’indiquer. Le terme provient de la contraction de l’expression anglaise « no mobile phobia ». Il représente la peur excessive d’être séparé de son téléphone mobile. Le mot a été inventé en février 2008 par la United Kingdom Post Office pour étudier les angoisses subies par les utilisateurs de téléphones mobiles. 


Une étude sur « L’impact de la séparation d’avec son mobile sur la cognition, l’émotion et la physiologie », publiée en janvier 2015, a été menée auprès de 208 étudiants journalistes. Prétextant le besoin d’essayer un nouveau tensiomètre sans fil, l’équipe a mesuré la pression sanguine et la tension artérielle des étudiants invités à dresser une liste des 50 États américains. À mi-parcours, les chercheurs leur ont annoncé qu’il était préférable de se séparer de leurs téléphones portables « pour ne pas créer d’interférences avec le matériel médical », et ont demandé 
aux étudiants de recommencer le test 
de zéro. 


À chaque fois que les participants ont été déconnectés, les chercheurs ont constaté une augmentation significative de l’anxiété, du rythme cardiaque, des niveaux de pression artérielle et une diminution significative de la performance aux tests. L’équipe parvient alors à la conceptualisation de deux nouveaux phénomènes. D’une part, le téléphone est devenu « une extension de soi-même », au point que l’on peut parler d’un « soi connecté » ou « iSelf ». D’autre part, la personne souffrant de nomophobie a l’impression d’avoir perdu une part d’elle-même, ce qui « peut avoir un impact négatif sur ses performances mentales ».

Article issu de la revue Sciences Humaines, mars 2015.