Vive la production artisanale !

L’exportation de produits bas de gamme subventionnés ne rapporte plus rien. Seule la production de denrées à haute valeur sanitaire, gustative et environnementale pourrait être rentable pour les agriculteurs et bénéfique pour les consommateurs

L’agriculture française est en crise et nos agriculteurs, mal rémunérés par la vente de leurs produits, sont en plein désarroi. Cette situation n’est pas vraiment nouvelle ; mais à force d’égrener des subventions ici où là, nos gouvernements étaient parvenus jusqu’à présent à étouffer tant bien que mal leur colère. Sans malheureusement s’attaquer aux problèmes structurels de notre agriculture ni parvenir à enrayer la disparition d’un très grand nombre d’exploitations agricoles.

Il ne faut pas se voiler la face : la France des multiples petits terroirs ne peut plus être compétitive sur les marchés internationaux en tentant d’exporter des denrées standards produites à grande échelle. Les poulets bas de gamme nourris avec du maïs et du soja brésiliens ne peuvent guère être vendus plus cher que des poulets brésiliens ; l’éthanol issu de nos betteraves cultivées sous les nuages ne peut rivaliser avec celui des cannes à sucre produites dans d’immenses exploitations sous le soleil brésilien ; la poudre de lait bretonne ne peut guère être exportée à un coût moindre que celle fournie par les « fermes des 1 000 vaches » déjà existantes en Allemagne et en République tchèque. Et nos blés à 90 quintaux à l’hectare, coûteux en engrais de synthèse et produits pesticides, sont menacés par la concurrence des blés à 30 quintaux produits dans les immenses domaines roumains et ukrainiens.

A cela s’ajoute le fait que la France et l’Union européenne sont désormais déficitaires pour plus des deux tiers en protéines végétales pour l’alimentation humaine et animale : les haricots de nos cassoulets sont très largement importés d’Argentine et nos animaux sont gavés de soja ou tourteaux de soja transgéniques en provenance des Etats-Unis et d’Amérique du Sud !

Coûts de dépollution élevés

Seuls parviennent désormais à rémunérer correctement nos agriculteurs les produits bio, labellisés ou d’appellation d’origine protégée. Notre excédent de la balance commerciale agricole provient déjà pour les deux tiers de produits de terroir à haute valeur ajoutée : vins, spiritueux, fromages d’exception, etc. L’exportation à vil prix de produits bas de gamme subventionnés, quant à elle, ne rapporte vraiment plus grand-chose.

Beaucoup d’agriculteurs considèrent cependant qu’il leur faut poursuivre avec les formes actuelles d’agriculture industrielle, de façon à pouvoir nourrir à moindre coût une population croissante, quitte à considérer les problèmes environnementaux et sanitaires engendrés par celles-ci comme étant relativement secondaires. Il leur a été répété maintes fois que pour rester compétitifs sur les marchés mondiaux, il leur faudrait toujours davantage mécaniser, motoriser et spécialiser leurs systèmes de culture et d’élevage, de façon à produire à grande échelle les denrées standards exigées par les agro-industries et la grande distribution.

Mais on sait que ces produits vendus à bas prix nous reviennent en fait très cher, du fait des coûts de la dépollution pour l’eau potable, des impôts à payer pour retirer les algues vertes du littoral, des maladies provoquées par les pesticides, de l’abaissement des nappes phréatiques, de la surmortalité des abeilles, etc.

Et nos productions exportées à vil prix vers ceux des pays du Sud qui sont déficitaires en nourriture contribuent à ruiner définitivement les paysanneries de ces pays qui travaillent encore pour la plupart avec des outils manuels. Ne pouvant plus rester dans la course, elles ne parviennent donc pas à équiper leurs fermes en vue de produire davantage et sont condamnées à partir en masse vers les bidonvilles ou tenter l’aventure des migrations clandestines.

Ce sont pour une très large part les distorsions de prix et de rémunération introduites par les subventions de la politique agricole commune (PAC) qui ont été à l’origine de nos errements.

Mais pourquoi ne réorienterons-nous pas celle-ci pour que les paysans, quand ils travaillent pour leur intérêt privé, soient incités à mettre en oeuvre les systèmes de culture et d’élevage les plus conformes à l’intérêt général ? A l’heure où nos médecins s’inquiètent des effets de la présence de résidus pesticides dans notre alimentation et notre eau de boisson, ne conviendrait-il pas de promouvoir la production de denrées à haute valeur sanitaire, gustative et environnementale ?

Fertilisation biologique

Quitte à taxer l’emploi des produits pesticides et celui des engrais azotés de synthèse, coûteux en énergie fossile et très émetteurs en gaz à effet de serre (protoxyde d’azote). Quitte aussi à rémunérer les agriculteurs pour leurs éventuels services environnementaux : séquestration du carbone dans la biomasse végétale et l’humus des sols, réintégration de légumineuses (luzerne, trèfle, pois, féveroles, haricot, etc.) dans nos assolements en substitution du soja importé ; recours à la fertilisation biologique de nos plantes en utilisant des champignons mycorhiziens ou à des bactéries fixatrices de l’azote de l’air, plantation de haies pour éviter les ruissellements et héberger les coccinelles prédatrices des pucerons ravageurs, etc.

Il nous faudrait promouvoir aujourd’hui une agriculture moins industrielle, c’est-à-dire plus artisanale, plus soignée, plus respectueuse de l’environnement mais aussi plus intensive en emplois. Il convient, pour ce faire, de réorienter au plus vite les aides de la PAC (actuellement concédées en proportion de la surface) afin que nos paysans, droits dans leurs bottes, puissent être correctement rémunérés, en échange de bons produits et de services d’intérêt général, et ne plus devoir sans cesse mendier des subventions sans grand effet sur les systèmes de production agricole.

Par Marc Dufumier, Le Monde du 09/02/2015