Le Loup et l’Agneau

Ésope, Fables, VIe siècle av. J.-C.

Un loup avisa un agneau qui s’abreuvait à une rivière, et voulut avancer un prétexte captieux pour s’en régaler.
Il alla donc se poster en amont, puis l’accusa d’agiter la vase, l’empêchant ainsi de boire. L’agneau objecta qu’il ne buvait que du bout des lèvres, et qu’il lui était d’ailleurs impossible, étant en aval, de troubler l’eau en amont. Voyant que son grief faisait long feu, le loup reprit : « Mais l’an dernier, tu as insulté mon père ! » L’agneau rétorqua qu’à l’époque, il n’était même pas né.
Alors le loup : « Tu ne manques peut-être pas d’arguments pour ta défense, mais je ne t’en mangerai pas moins ». La fable montre que face à des gens résolus à se montrer iniques, le plus juste plaidoyer reste sans effet.

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Phèdre, Les Fables, Ier siècle av. J.-C.

Au même ruisseau la soif avait entraîné
Le loup et l’agneau. Le loup était en amont,
L’agneau, loin en contrebas. Mû par sa voracité,
Le brigand sans scrupules se mit à lui chercher noise :
« Pourquoi donc as-tu, dit-il, rendu l’eau troublée
Au moment où je buvais ? » Le porte-laine, tremblant :
« Dis-moi, loup, comment je peux être cause de tes maux
Puisque le courant descend de toi jusqu’à moi ? »
Le loup, confondu par un argument si fort,
Reprit : « voilà plus de six mois, tu as médit de moi.
— Moi ? répondit l’agneau, mais je n’étais pas né.
— Alors, morbleu, c’est ton père qui a médit de moi »
Il le prit, le mit en pièces, une injuste mise à mort.
La fable fut écrite pour ces sortes de gens
Qui, sous de vains prétextes, oppriment l’innocent.


La Fontaine, Fables, livre I, fable 10

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
— Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau ; je tette encor ma mère
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point. — C’est donc l’un des tiens ;
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

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Aurélien Scholl, Les Fables de La Fontaine filtrées, 1885

Après quoi, pris de somnolence,
Le Loup se coucha tout du long
Dans un vallon
Afin de cuver sa pitance.
Mais, comme il avait trop mangé,
Il ne fut pas longtemps sans être dérangé.
La tête lui tournait, il était à la gêne,
Et, s’appuyant sur le tronc d’un arbre,
Quoi qu’il fît pour se retenir,
Il se mit bientôt à vomir.
Au beau milieu de sa nausée,
Survient le fermier du château.
À la bête mal avisée :
— Qu’as-tu fait, dit-il, de l’Agneau ?
— Connais pas, fit le Loup d’une voix chevrotante.
— Tu m’en as pris deux, l’an passé.
— Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né ?
— Si ce n’est toi, c’est donc ta tante ?
Là dessus, à coup de bâton,
Le fermier dépêche à Pluton
Cette bête trop arrogante.
Comme les conquérants aux trésors mal acquis,
L’estomac, quoiqu’il veuille attendre,
Est souvent obligé de rendre
Ce qu’il a pris.


Raymond Queneau, Battre la campagne, 1967

« L’Agneau et le Loup »

Dans le buisson broute un loup
un loup de la belle espèce
il boit aussi l’eau claire
du ru pur

un agneau vient à passer
un agneau de la belle espèce
pourquoi, dit-il, troubler
mon ru pur ?

le loup voudrait bien s’en aller
la queue entre les jambes
mais l’agneau se met à cogner
près du ru pur

Il coule un peu de sang sur l’herbe
le loup s’enfuit l’agneau triomphe
pisse alors dans l’H20
du ru pur

j’ai composé cette fable
au fond d’une forêt profonde
en trempant mes pieds dans l’onde
d’un ru pur.

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Pierre Perret, « Le Loup et l’Agneau en argot », 1994

Sur le vaste échiquier de not’ mond’ de misère
Un agnelet nature qui tétait l’onde claire
Se gourait pas un poil éclusant la lancequine
Qu’un loup l’cherchait partout pour en faire un Tajine.

— Viens ici p’tit loubard, qui t’a filé l’condé
De tremper ton gros blair dans mon sirop d’ablette ?
— Mais sire, je savais pas, j’en ai sifflé qu’un dé
Ce n’est pas pour si peu que vous m’faites la courette ?

Le loup à toute bubure enjambe le cresson
Poursuivant l’innocent qui a plus un poil de sec.
Le loup certes est plus fort, mais en guise de leçon
On verra qu’un teigneux peut tomber sur un bec.

Finalement comme chez nous, y a des moutons bêlants
Y a des faibles et des forts, y a des noirs et des blancs…
Le roi, lui, il s’en tape, il est pas dans l’troupeau
Il compte en s’endormant ceux qui paient des impôts.

Moralité :
Tuer un p’tit agneau sans défense ?
… C’est bien laid…
Mais c’est pas dégueulasse avec des flageolets !